Méthodologie

L’arbre se situe à part parmi les végétaux. Bien des botanistes, arpentant courbés les espaces naturels ou urbanisés à la recherche des plantes, ne notent dans leurs relevés de terrain que les plantes annuelles ou vivaces, parfois les arbustes, mais lèvent rarement le regard vers la cime des arbres. Ce sont souvent, ou bien les professionnels de la forêt ou bien les non spécialistes, amoureux de la nature, qui connaissent les arbres.
Dans les campagnes comme dans les villes, l’arbre est un point de repère relié à des notions structurantes de notre vie : le temps, l’espace, le vivant.

Les arbres portent une dimension collective, ils poussent en bandes et forment les forêts : sous nos climats, les forêts sont d’immenses jardins arborés qui dessinent nos paysages.
Mais l’arbre, lorsqu’il est dans un lieu proche de l’homme – au cœur d’un village, formant le parc d’une vaste demeure ou ombrant un modeste cabanon – s’individualise. Nous le voyons alors comme un être vivant, unique, il attire notre regard, témoigne de la relation de l’homme et de l’arbre à travers les saisons, les générations, les siècles. Et plus il est imposant, vieux, majestueux, plus nous le percevons en tant qu’individu, il arrête notre regard et nous le remarquons.

Ainsi, au-delà de l’attirance due à la force qui émane de lui, outre l’intérêt que nous pouvons lui porter, cet arbre-là, cet arbre particulier une fois rencontré, s’inscrit dans la mémoire car nous l’avons remarqué.

L’arbre dit remarquable est un arbre qui a su se distinguer à nos yeux, faire écho en nous.


Liquidambar de Ventabren
(Bouches du Rhône)

Entamer une étude sur les arbres remarquables, c’est conduire une recherche avec toute la rigueur scientifique nécessaire : déterminer l’espèce botanique, noter tous les critères, biologiques, géographiques, les paramètres sanitaires qui amèneront à considérer cet arbre comme remarquable et à jauger son intérêt à l’échelle du territoire concerné ; mais c’est aussi mener ce travail avec un regard subjectif. Ce qui peut apparaître comme un paradoxe – longtemps, les termes «scientifique» et «subjectif» ont été considérés comme antinomiques – ne constitue en fait que deux aspects complémentaires d’une approche des sciences humaines où, le rationnel est éclairé par le regard sensible qui révèle la beauté, des formes, des lumières et où la vision émotionnelle illustre les critères de reconnaissance et permet d’appréhender l’individu dans son intégralité d’être vivant.

La méthodologie : élaboration de la démarche pour la DIREN PACA

Premier questionnement : où sont les arbres présumés remarquables, comment connaître leur localisation ?

1/ récolte des données
Des recherches sur Internet révèlent des travaux effectués sur les Arbres Remarquables dans d’autres régions ou départements, des contacts sont pris avec des associations, dont l’association A.R.B.R.E.S. (Arbres Remarquables : Bilan, Recherches, Etudes et Sauvegarde) qui travaille sur cette thématique au niveau national. Des publications sont étudiées, l’ensemble des informations recueillies est analysé, cela nous donne des éléments sur les différentes méthodes utilisées par d’autres, dans des contextes géographiques et administratifs différents. Pour la région PACA, la récolte est très maigre, seuls sont cités quelques arbres dont l’Olivier de Roquebrune Cap martin, l’un des plus vieux arbres de France, aucune étude d’ampleur n’avait été entreprise dans l’un ou l’autre des départements avant 2000.
Ailleurs, les méthodologies ont été diverses. Ainsi, des appels à information ont souvent été lancés directement auprès des communes. Dans d’autres cas, des concours ont été organisés directement par voie de presse, afin de recueillir des localisations d’arbres auprès du grand public. Cette approche est fort intéressante car elle implique le citoyen et permet de le sensibiliser localement au patrimoine arboré.
Notre approche s’est construite au delà des données bibliographiques à travers les contacts spécialisés, sur le territoire donné.

État des connaissances antérieures
Pour le Var, un inventaire d’Emile Jahandiez‚ le floriste du Var, datant de 1934, recense 54 arbres remarquables. Le Dr André, qui est parti sur les traces de Jahandiez, donne en 1970 de nombreux compléments, mais qui sont peu précis, quant aux localisations.
Pour les Bouches-du-Rhône, aucun document n’a été identifié ; de rares données sont dispersées dans des périodiques anciens.
A la suite du recensement des données bibliographiques existantes : Les plus gros arbres de France‚ par F. Lesour et E. Le Graverend‚ (1926-1933), révision et réédition, D. Lejeune 1995, apparaît comme l’ouvrage de référence. Cet ouvrage, qui classe par espèce les plus gros arbres connus en France en donnant les dimensions de circonférence et de hauteur, ainsi que le lieu, nous permet d’étalonner les arbres rencontrés, de situer les arbres exceptionnels découverts lors de l’enquête sur l’échelle correspondant à leur espèce.
De nombreuses publications sont consultées dans les domaines suivants : Histoires des arbres, des parcs et jardins, l’arbre dans la ville, les arbres dans le paysage rural, conservation et protection, ouvrages sur les arbres remarquables, au plan mondial, national et régional. Nous y trouvons des références par espèces ainsi que des descriptions d’arbres exceptionnels qui aideront à identifier et parfois à cerner approximativement l’âge d’un arbre, par données comparatives. Ainsi sont répertoriés des lieux intéressants à visiter en Provence, parcs de demeures, alignements conduisant à des mas ou jardins créés au XIXe siècle, dont les arbres plus que centenaires rentreront parfois dans cette étude. (cf bibliographie en annexe).


Le chêne d’Aiguines (Var), déja considéré
comme remarquable en 1934 par Jahandiez.

En cours d’élaboration de la méthodologie
Parallèlement, dans ce temps de recherche bibliographique, des journées de terrain sont effectuées à partir des premières indications recensées afin de percevoir véritablement la problématique et il apparaît d’emblée qu’en allant voir un arbre signalé, le chercheur «voit» d’autres individus susceptibles de faire partie de l’étude.
Afin de diffuser l’information concernant cette enquête et d’homogénéiser les données recueillies, un texte explicatif d’appel est mis au point, ce texte précise les contours de la recherche‚ il est associé à une fiche d’enregistrement (voir en annexe).
Pour ce faire, la notion de remarquabilité et les critères des arbres enregistrés doivent être établis a priori, avant l’enquête de terrain elle même. Afin de connaître précisément où chercher les arbres, est mis en place un réseau d’informateurs : les interlocuteurs sollicités seront principalement les associations naturalistes.
De nombreux contacts sont pris avec différents organismes : des associations, des botanistes, tous interlocuteurs susceptibles de participer à l’étude en fournissant des localisations d’arbres remarquables et/ou des informations scientifiques ou culturelles liées à l’arbre.

Différents organismes publics ont fourni des données et ont apporté un soutien logistique :
· Conservatoire Botanique National Méditerranéen de Porquerolles
· Parc National de Port-Cros
· Parc Naturel Régional de Camargue
· Réserve Naturelle de Camargue
· Conseils Généraux des Bouches-du-Rhône et du Var.

2/ le travail de terrain
A la suite du travail préparatoire au terrain, toutes les données en notre possession sont regroupées ; données bibliographiques et données de sources diverses, issues des contacts ; les informations, saisies sous tableau Excel par espèce‚ sont ensuite classées par commune‚ ce qui fourni la première base sur laquelle s’élabore la préparation du travail de terrain.
Puis, définissant un secteur géographique, le chercheur part sur le terrain, là où certaines connaissances personnelles tant d’arbres que de personnes-ressources sont acquises.
Très vite, le constat est évident : beaucoup d’arbres sont intéressants et doivent faire partie de l’inventaire. En allant voir des arbres remarquables signalés dans un lieu, qui peut être lui-même exceptionnel (parc de château, emplacement d’ancienne bâtisse), l’on trouve bien d’autres arbres dignes d’intérêt.
La masse de données collectées lors de la phase préparatoire au terrain est importante, et s’y ajoutent les découvertes qui découlent de l’acuité du regard du chercheur. Car si la région, de par sa grande diversité géographique offre des milieux très diversifiés, elle regroupe un foisonnement d’espèces arborées différentes qui constitue l’intérêt de cette étude et aussi sa difficulté en PACA. La chargée d’étude doit forger son regard à une notion de remarquabilité appliquée à des espèces très diverses dans des biotopes particuliers, allant du chêne liège au liquidambar et du pin parasol au cocotier du Chili.
Au pied de chaque arbre visité, les informations recueillies sont précises et nombreuses:
· les précisions sur l’accès au site où se trouve l’arbre (commune, lieu-dit) ;
· le positionnement de l’arbre : les coordonnées géographiques sont relevées par GPS ;
· l’identification botanique (si cela semble nécessaire, une récolte d’échantillon d’herbier est effectuée) ;
· les mesures (circonférence à 1,30 m du sol (pris au point le plus haut), largeur de la frondaison, hauteur, calculée à l’aide d’un dendromètre) et les différentes notes décrivant l’arbre (son port, son état sanitaire, l’abondance ou non de fleurs et de fruits suivant la saison, la flore l’entourant) ;
· il est plus délicat de noter l’impression que procure l’arbre, mais ce critère, subjectif, importe beaucoup, car les aspects esthétiques, soit de la silhouette de l’arbre soit de sa place dans le paysage constitue un large critère de remarquabilité ;
· les informations recueillies sur place, les anecdotes ou parfois l’histoire d’un lieu ou de personnes auxquels l’arbre est lié sont transcrites ;
· les coordonnées des informateurs rencontrés sont enregistrées.
Toutes ces données sont inscrites dans les différentes rubriques de la fiche d’enregistrement, même s’il est souvent difficile de savoir quel est le propriétaire d’un arbre rencontré en plein champ ou en lisière de bois. Cela implique une véritable recherche, la rubrique restant parfois peu renseignée.
Ainsi en est-il aussi des données concernant les fêtes liées à un arbre. En région provençale, on nous parle rarement de commémorations impliquant l’arbre, mais des bribes d’information sont l’amorce qui engendrera des enquêtes ethnobotaniques à conduire localement, en aval de l’inventaire, permettant une valorisation culturelle de l’étude et une restitution au public (sous forme de conférences, d’exposition ou de publication) des éléments de l’histoire du patrimoine local.
Conjointement aux relevés de terrain, les prises de vue sont effectuées, montrant l’arbre dans son environnement, ses caractéristiques et aussi sa beauté (les macros photos révèlent les écorces souvent magnifiques des vieux arbres).


Relevé GPS
(Hêtre à Cruis, Alpes de Haute-Provence)


Mesure de la circonférence
(Hêtre à Redortiers, Alpes de Haute-Provence)


Mesure de la hauteur
(Chêne blanc à Revest-du-Bion, Alpes de Haute-Provence)

3/ l’enregistrement des « arbrem »
A l’issue de cette première phase d’un an d’étude, 400 arbres ou groupements jugés remarquables ont été enregistrés sous excel. La masse d’informations a nécessité la mise au point d’une base de données spécifique regroupant les données sous un même numéro d’identification, ce qui permet de les lier aux photos numérisées correspondantes.

4/ La restitution des données
Cette étude étant qualifiée d’expérimentale, il a été nécessaire d’adapter l’inventaire au fur et à mesure des enseignements de la recherche. Pour ce faire, des rencontres de travail régulières et le rendu de rapports intermédiaires à la DIREN ont permis des mises au point significatives.
La base de données spécifique aux arbres remarquables, donne à la DIREN un outil permettant de centraliser les informations concernant ce patrimoine végétal méconnu. Elle fournit les éléments nécessaires pour aider à la protection de l’arbre et des sites arborés remarquables.

5/ L’analyse
Les premiers enseignements de l’inventaire
· L’abondance des arbres remarquables et la grande diversité des espèces sont significatives en région PACA, a surgit la nécessité d’établir une hiérarchisation de la remarqubilité ( R1 à R3).
· Sur 400 enregistrements, à parts égales dans les Bouches-du-Rhône et le Var, sur 1/3 des communes de chaque département, 69 espèces différentes sont notées dans les Bouches-du-Rhône et 77 dans le Var. Dans les arbres les plus exceptionnels, de Remarquabilité 1 (R1), on compte 53 espèces différentes ;
· R1 : les arbres les plus remarquables à l’échelle de la région PACA ;
· R2 : les arbres remarquables à l’échelle d’un territoire plus restreint : département ou commune ;
· R3 : les arbres intéressants, requérant la potentialité d’arbre remarquable, ce sont les R1 de l’avenir, auxquels il convient d’être attentif aujourd’hui.
· La prise en compte du patrimoine arboré en tant que marqueur du paysage est une spécificité de l’étude en Provence. L’arbre remarquable est souvent considéré uniquement en tant qu’individu isolé, il nous a paru important de le mettre en valeur en tant qu’élément paysager.
· Bien entendu, une adaptation aux spécificités géo-climatiques de la région Provence Alpes Côte d’Azur est indispensable et fait l’objet d’une étude approfondie, nommée « Etalonnage de la Remarquabilité » dans le cadre du programme. Il s’agit de préciser à partir de quels critères, un platane, un chêne ou un arbousier, chacun dans leur espèce, peuvent être considérés comme remarquables en région PACA.

Les perspectives de cette étude
Nous disposons maintenant des outils et du savoir-faire pour continuer cet inventaire.
La DIREN souhaite le mener à bien dans le cadre de partenariats avec des collectivités territoriales, elle apportera la méthode et le soutien logistique aux départements, Parcs Naturels, Communautés de Communes ou Pays qui prendront en compte leur patrimoine arboré. Mais l’inventaire peut aussi être entrepris par une association locale.
Dans un souci de cohérence et d’utilisation des données, la méthodologie validée pourra être employée et le suivi technique et scientifique de ces inventaires pourra être assuré par l’EPI.

Conclusion : « Vous avez dit ‘arbre remarquable’… »
C’est en portant un regard attentif sur ces grands arbres, témoins du temps qui passe que nous nous approprions notre patrimoine.
Le porter à la connaissance du plus grand nombre est aujourd’hui une mesure de protection, car il est parmi nous bien des naturalistes-citoyens qui savent que les arbres ont toujours quelque chose secrète à nous enseigner.
Le regard averti, qui, sur le terrain, saura estimer la remarquabilité de l’arbre rencontré, sera toujours subjectif, lié à la sensibilité du chercheur qui a rencontré l’arbre dans son milieu.
Au-delà des critères scientifiques, ou à travers eux, c’est la rencontre même de l’homme et de l’arbre qui est au cœur de ce travail d’inventaire.
Cette rencontre « émotionnelle » explique souvent que les habitants d’un lieu ont, au fil des siècles, respecté et préservé un arbre, témoin de leur passé et compagnon de leur vie.
L’arbre comme être vivant bien plus durable que l’être humain, dont la permanence à nos côtés n’est pas sans connotation métaphysique, reste toujours en arrière-plan de l’arbre qu’on appelle aujourd’hui remarquable, à travers les photos, les arbres parleront eux-mêmes.